"Cet après midi, je me suis perdu."
J'aurais pu écrire ce billet.
Cela va rappeler quelques souvenirs attendris... ou pas...
À plusieurs d'entre vous.
Mais non, il n'est pas de moi.
Il est de Stéphane Boistard, "l'homme qui murmurait à l'oreille des arbres"
Je vous l'offre.
"Cet après midi, je me suis perdu.
Depuis ma retraite ardennaise qui se poursuit encore quelques jours, je vous partage cette expérience.
Cet après midi, je décide vers 15h de faire une petite ballade pour me dégourdir les jambes. Je repère sur la carte une ballade d'une petite heure et me voilà parti.
De sentiers peu marqués, en marécages, que la neige avait dessiné dans la forêt. J'ai fait quelques détours, sauté par dessus quelques ruisseaux, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sentier.
Pas de problèmes, je peux potentiellement faire demi tour.
Mais j'ai envie de couper à travers bois et marécages. Aller de l'avant. Dans les marécages, je repère les touffes d'herbes hautes (molinies séchées par l'hiver), les parterres de mousses et les bosquets d'arbres (là où les arbres poussent, il y a moins d'humidité aux pieds).
J'avance lentement, mais sûrement. Au bout d'un moment, je me rends compte que je suis perdu. La première idée à ce moment là est de regarder le soleil déclinant et je sais que j'ai environ 2 heures avant la tombée de la nuit. Je vais y voir encore un moment, donc pas de panique. Juste essayer de sortir de la zone marécageuse avant la nuit, et si possible sortir de forêt. Sans lampe, dans la nuit, les branches basses sont assez désagréables. En plus, la lune est assez pleine ces jours ci, et le ciel clair, doublé d'un vent froid n'augure pas de nuages. Personne ne m'attend. La panique n'est pas là, mais il y a une légère tension. Une inquiétude nait. En réponse, une force interne se réveille.
Je me mets donc en chemin.
Ce qui est merveilleux quand on se perd, c'est que l'attention revient à l'instant.
Je suis ici.
L'attention est aussi à maintenant: je sais qu'il va faire nuit bientôt, alors je suis attentif à maintenant.
Il n'y a plus d'objectif de temps. La ballade de 45 minutes fera plus. C'est fou comme on peut s'inquiéter d'arriver en retard à un rendez vous professionnel ou médical par exemple. Si vous vous perdez en forêt, d'être en retard devient superflu. Vous essayer d'arriver à l'endroit voulu. La notion de retard prend alors tout son sens: une illusion stressante.
Se perdre, c'est aussi inviter l'aventure là où on ne l'attend pas. C'est ramener l'attention aux signes qui nous entourent, pour lire dans le paysage une direction à suivre. La raison n'est plus seule au commande, elle est secondée par l'intuition.
Les deux œuvrent ensemble.
Pendant ma marche, les sens aux aguets, je suis encore plus attentif à une rencontre animale. Une branche craque à proximité, et je me tapis dans l'herbe pour observer, aux aguets. Mais je ne verrais pas les animaux qui m'ont frôlé.
Finalement, je débouche sur une immense plantation de minuscules épicéas sur une ancienne forêt rasée par des engins. Il me suffit de chercher par où ont accédé les engins et me voilà sur une piste forestière, pour déboucher sur une route.
Ne sachant pas trop dans quelle direction aller ensuite, je me dirige vers une des maisons au loin, sur la route. Là, une dame est sur son perron, débarrassant des courses de sa voiture.
Je lui indique que je suis perdu, j'ai un peu tourné dans les marécages, et je souhaite me rendre aux Hauts Buttés. Dès mon approche, malgré mon sourire qui se voudrait rassurant, je sens que je lui fais peur. C'est fou comme cela m'arrive souvent. Voire aussi parfois de faire du stop pendant des heures sans être pris. Il est plus commun de penser qu'un inconnu qui nous accoste est potentiellement un danger qu'une personne sans intention néfaste. Cela reflète pour moi cette ambiance de peur qui règne dans l'air en France.
Donc elle me renseigne du bout des lèvres en m'indiquant une direction. Je ne veux pas abuser en demandant à boire, je la vois bien inquiète, entre sa voiture ouverte et sa maison à la porte ouverte. Je pars dans la direction indiquée, les pieds un peu humides et le gosier un peu sec.
Finalement, j'aurais fait une bonne ballade de 3 grosses heures.
Je me suis régalé. J'avais prévu des choses, et mon planning a été bouleversé par l'aventure au coin des bois. Petite aventure.
Mais je me rends compte que finalement, c'est moi qui était perdu dans mes pensées. J'avais la tête qui discutait toute seule quand je marchais. Et finalement, de me perdre en forêt, ça m'a réorienté. Je suis revenu à l'attention du lieu et de l'instant.
C'est un comble, se perdre alors que je réside à coté du sanctuaire de Saint Antoine, le patron des objets perdus et des âmes égarées...
Dans le marécage où j'ai un peu erré, c'était le marécage de mes pensées. C'était surtout le marécage des pensées de tous les êtres.
Vous qui me lisez, amis, parents, relations, je vous souhaite des aventures.
Pas forcément de grandes aventures. Car de petites aventures amènent déjà de grandes compréhensions et de grands émerveillements.
Je vous souhaite une île, dans le marécage de vos pensées, où les pieds au sec, vous n'avez qu'à contempler, et vous émerveiller."
Bonne soirée,
A bientôt,
Stéphane